Depuis le mail de Serjical Strike Records me demandant mon adresse postale pour l’envoi de
Glaring Through Oblivion, je consultais fébrilement, quotidiennement, ma boite aux lettres, scrutant le moindre petit paquet. J’observais le facteur au loin, dans l’espoir de le voir arriver, colis sous le bras. Il m’aura fallu quelques jours et beaucoup de patience avant d’enfin, avoir le recueil en main, gracieusement offert par le label, « on behalf of Serj Tankian ».
Quand on a le livre entre les doigts, ce qui marque tout d’abord, c’est le format, quelque peu atypique (
20.5x16.5cm). Un livre moins haut, donc, plus large.
Comme prévu, le livre s’ouvre sur un texte écrit par Serj quelques jours après le 11 septembre, ses impressions sur l’ambiance générale qui règne désormais aux Etats-Unis, la paranoïa (le « mass media’s modern McCarthyism »), mais aussi sur les menaces qui pèsent sur lui et le groupe : « I live in the U.S.A. and am afraid to say what’s on my mind, because of physical threats and rhetoric directed against my band members and myself in this time of confused patriotism » (je vis aux Etats-Unis et j’ai peur de dire ce que je pense, à cause des menaces physiques et des discours dirigés contre les membres du groupe et moi-même, en ces temps de patriotisme confus). Les deux pages se closent sur ce qui, finalement, sera l’ouverture à tout le recueil : « I, myself, have vowed to never again hold my tongue » (j’ai personnellement fait le vœu de ne plus jamais me taire) suite à quoi, cinquante poèmes, pour la plupart engagés, s’ensuivent.
Pas besoin d’être fan du chanteur/musicien/compositeur pour en apprécier les écrits. N’importe quel anglophone en appréciera tous les jeux de mots et allitérations. Un fan aura ce plaisir supplémentaire, néanmoins, d’y reconnaitre quelques paroles : un vers par ci (« you cheat us when you feed us with the lie »), un bout de vers par-là (« an old man stares at me »), un poème complet se fait chanson (Borders), un autre rappellera de vieux souvenirs aux fans de l’éponyme (« open your eyes, / open your mouths, / close your hands, / and make a fist. / Down with the System! »), quand un autre ravira les fans de Serart (Claustrophobia).
Mais bien entendu ce n’est pas que ça. La plupart des textes sont inédits, et une véritable découverte. Un véritable challenge aussi, parfois, avec quelques premiers vers comme Serj uniquement sait les faire : « perfunctory permeations of functional neurons », « prosthetic proselytizing over the pathetic patsies ». Qu’on se le dise tout de suite : vous ne comprendrez pas tout à la première lecture.
Tout au long de l’ouvrage, on retrouvera les thèmes chers à notre ami Tankian : la politique, la civilisation, l’engagement, l’écologie, la justice, la modernité, … d’autres sont plus personnels, plus introvertis, plus réflexifs, quand d’autres encore, en une ligne, rappellent les sagesses asiatiques antiques (« blindness serves not God, but man » ; « home is a place you can’t walk away from, in the end » ; « you speak to millions but talk to no one ») … ou pas (« fancy fucking you here! » ; « she sells sea shells, buy the real whore! »).
Tandis que les poèmes vous délecteront les oreilles et le palais, laissez-vous charmer la vue par les illustrations de Roger Kupelian ! Assemblage de réalisations par ordinateur et de photographies, il nous plonge dans un univers atypique, entre le moderne et l’antique. Des silhouettes de métal précèdent de grands bâtiments de pierre anciens ; une poitrine se dessine, un enfant se cache ; des maisons, une forêt. Des couleurs oscillants entre le rouge, l’orange, le marron, le bleu, le vert, dans des tonalités toujours sombres, mais chaudes. Vous retrouverez les ambiances visuelles des clips de Honking Antilope ou Reconstructive Demonstrations, mais que les sceptiques se rassurent, le résultat est bien plus charmant, plus esthétique, plus abstrait, aussi. Un régal pour les yeux, dans tous les cas, même si l’on ne sait pas toujours ce que l’on contemple. Là est le régal, à mon avis.
En conclusion, un recueil premièrement agréable en main, qui nécessitera toute votre attention à la lecture, ainsi que vos deux mains, avec son format paysage ; des thèmes profonds, peu de poèmes « superficiels » (mais il y en a), qui stimuleront tout autant votre imagination par ses imageries fantasques (« I’m being chased by children playing miniature toy accordions made in China ») que votre sens civique, politique et écologique ; et les illustrations de Kupelian viennent compléter le tout à merveille.
On regrettera juste qu’il n’y en ai pas assez, et moins que dans
Cool Gardens (80 poèmes dans le premier, 94 pages / 1 prose et 50 poèmes dans ce second recueil – dont 12 ne font qu’une ligne – pour le double d’illustrations).